Le blog d'Arta Seiti
1 Mai 2010
L'Asymétrie dans les conflits contemporains - Cahiers du CEREM, mai 2008
Le conflit en ex-Yougoslavie est l’occasion d’observer deux niveaux
d’asymétrie : celle qui fut employée dans un cadre militaire lors de
la phase armée et celle qui est encore en vigueur sur un plan
politique à travers la question du statut du Kosovo.
On peut caractériser l’approche asymétrique tant sur le plan social
que militaire comme une stratégie basée sur des éléments de
rupture (valeurs, moyens, technique ou procédés) dont le but est
de surprendre en déjouant les pronostics. Concrètement, la
question se pose de savoir à partir de quel moment peut-on parler
d’asymétrie ? Quelles sont les manœuvres que l’on peut répertorier
comme telles et que nous apprennent-elles de l’évolution des
rapports de force militaires et/ou politiques ?
Les formes prises par l’asymétrie pendant le conflit
armé
Commençons par rappeler qu’à défaut de négociations lors de la
conférence de Rambouillet de 1999 et pour éviter une catastrophe
humanitaire, une intervention aérienne internationale va passer
outre l’autorisation de l’ONU. Le premier caractère de cette
opération est assurément dissymétrique étant donné la suprématie
des forces militaires de l’OTAN par rapport à celles dont disposent
les Serbes.
Une telle différence introduit bien entendu un rapport stratégique
du fort au faible et ce dernier ne peut répliquer à la dissymétrie par
une surenchère du même ordre. La seule manière de faire évoluer
le rapport des forces pour qu’il soit moins défavorable aux Serbes
est de répliquer avec astuce en optimisant les moyens qui sont les
leurs.
Plus précisément, le recours à l’asymétrie va se manifester dans
la dissimulation du matériel de combat par l’armée serbe. Ainsi,
lors des 78 jours de bombardements aériens, les forces serbes vont
chercher à leurrer les outils techniques d’information et de
renseignement de la coalition en utilisant des techniques très
simples sur la base de ressources faciles à obtenir mais efficaces.
Ils ont également recouru à des méthodes toujours asymétriques
mais déjà connues comme de vieux tracteurs ou des miroirs,
comme pour l’opération Fortitude menée par les Britanniques
pendant la seconde guerre mondiale pour semer le doute dans
l’état-major allemand sur le lieu du débarquement.
L’asymétrie dans la lutte d’influence autour du
nouveau statut du Kosovo
Après l’intervention aérienne de l’OTAN en 1999, une fois que les
armes font place à la politique, le conflit va prendre désormais une
importance géostratégique et géopolitique au niveau régional. Le
nouvel enjeu géostratégique majeur va se focaliser sur la question
du statut des différents pays qui composaient la Yougoslavie.
Divers accords d’intégration seront conclus (cas de la Macédoine),
des référendums seront mis en place (pour l’indépendance du
Monténégro) et des négociations seront ouvertes avec des
partenaires internationaux, en vue de créer un nouvel État, le
Kosovo.
Rappel des enjeux
Le conflit au Kosovo est en premier lieu géopolitique. Il est évident
que la revendication d’une identité, caractéristique souvent attribuée
aux conflits dits “identitaires”, prend une place déterminante dans
la nouvelle donne établie entre Serbes et Kosovars albanais après
la guerre. Deux identités distinctes alimentent de chaque côté un
discours de mémoires contradictoires, basés sur l’histoire,
l’autochtonie du territoire, la démographie et la migration.
Où intervient l’asymétrie ?
On peut estimer que ce débat donne lieu à des approches et
stratégies asymétriques adoptées par les acteurs étatiques et/ou
non étatiques et les deux populations concernées, les Serbes et
les Kosovars Albanais. D’abord, la présence et le partenariat
d’éléments internationaux obligent les deux camps à rechercher
un terrain d’entente. Mais si les armes se sont tues, les
antagonismes existent toujours et il va s’agir de sortir vainqueur
des négociations avec une donne aussi satisfaisante que possible
et peu importe ici la satisfaction des doléances adverses. La
posture stratégique des Serbes, des Kosovars albanais et même
des acteurs internationaux va alors consister à jouer avec les
moyens existants, dans les extrêmes limites du droit et de
l’intimidation pour obtenir les plus d’avantages possibles, chacun
selon ses intérêts.
Dans cette optique, l’asymétrie intervient d’abord de la perception,
de façon quasi paranoïaque : chacun s’attend à ce que l’autre face
appel à des arguments qui vont déplacer les débats sur un champ
où il peut être avantagé ; l’identité Kosovare perçoit ainsi une
menace asymétrique venant de Belgrade, et vice versa. Ce regard
asymétrique prend la forme d’une anticipation, donc une recherche
asymétrique pour répondre à une asymétrie dont on soupçonne
l’autre. Mais elle confirme un ressentiment national éprouvé par
chacune des parties et confirme l’empreinte fortement religieuse
et culturelle du conflit.
Que retenir de cette asymétrie transposée au plan politique ?
“Une bonne stratégie présuppose une bonne anthropologie”,
souligne Laurent Murawieck. Ainsi, en utilisant certains aspects
du processus de définition du statut à son profit, chacun peut
essayer de faire jouer en sa faveur les différents aspects du
contexte instable.
Selon Liddell Hart, c’est bien ce mouvement d’appropriation de
données juridiques, politiques qui engendre la surprise en tant que
deuxième étape des jeux asymétriques, et qui ressort dans ce
contexte du domaine de la psychologie. Ceci dit, le fondement de
ce processus affecte tout le monde et bien sûr le processus lui même,
puisque pour parer à toute (mauvaise) surprise ou
manipulation, on développe une méfiance systématique, ce qui se
traduit par des blocages fréquents dans les négociations.
Ainsi, la posture asymétrique des parties s’accroît au fur et à
mesure que se déroulent les pourparlers pour la définition du
statut politique du Kosovo, ce qui marque une surenchère dans
la mise au point et la détection de manœuvres asymétriques.
De plus, pour illustrer cet engrenage asymétrique, le gouvernement
serbe, en projetant une image de victime et de pays dévasté par
la guerre, tente de faire valoir sa position morale sur la scène
internationale. Et pour ce qui est du statut du Kosovo, l’asymétrie
morale est en passe de prendre plus d’importance pour le
gouvernement serbe, qui affirme que le renversement de Milosevic
et son emprisonnement justifient le maintien du territoire de
Kosovo au sein de la Serbie. Mais c’est essentiellement l’attachement
à l’idée de “la grande Serbie”, au passé et au patrimoine culturel qui
souligne une rhétorique de volonté, en vue de masquer la véritable
stratégie de Belgrade par rapport au Kosovo.
Conclusion
L’asymétrie n’est donc pas une stratégie confinée au domaine
militaire; au niveau de la politique internationale, elle se manifeste
souvent par la manipulation d’éléments juridiques. Cette stratégie
pourtant fort ancienne connaît un regain d’actualité avec le contexte
stratégique contemporain, ses différences d’exigences légales et
les disparités de développement socio-économiques. On peut le
constater dans le conflit qui oppose Serbes et Kosovars albanais
à propos du statut du Kosovo.