Le blog d'Arta Seiti
4 Avril 2013
Le laborieux huitième round des négociations entre Belgrade et Pristina se sera donc soldé par un échec avéré, au terme de 14 heures de pourparlers.
L’Union européenne, à l’issue de ce marathon, ne sera donc pas parvenue à sceller l’accord historique qu’elle se flattait pourtant d’obtenir.
En dépit de la bonne volonté affichée par les deux parties, quant à la volonté de poursuivre les négociations dès la semaine prochaine, Catherine Ashton en sa qualité de haute représentante pour les affaires étrangères semble avoir jeté le gant et ne caresse plus l’espoir de relancer ce dialogue paré, il y a peu de temps encore, de toutes les promesses du salut.
Selon Pedrag Simic, professeur à la Faculté des Sciences politiques de Belgrade, le cycle des discussions impulsées par l’UE est désormais refermé et si celles-ci avaient quelques chances de reprendre, elles seraient sans doute placées désormais sous la direction de Washington, ce qui ne constitue pas un gage d’impartialité à maints égards. Et le professeur de noter que Pristina demeurait, selon lui, d’autant plus inflexible que Washington avait témoigné qu’elle ne voulait pas d'une autre Republika Srpska dans les Balkans.
On pourrait bien sûr objecter que l’important est que le processus du dialogue ait eu lieu, et qu’au-delà de son dénouement, il aurait eu une portée pédagogique auprès des opinions publiques qui seraient ainsi conduites à mieux accueillir l’idée de normalisation. Pour autant, si l’on s’efforce d’analyser plus en profondeur les véritables enjeux, force est de constater que les fondements de ce dialogue demeurent à l’issue de cette discussion fragiles et marqués par une profonde ambiguïté.
Un échec révélateur de non-dits et d’une gestion politique irréaliste, de la part des institutions européennes
Que disait-on en effet à la partie serbe ? Sur le mode de l’injonction paradoxale, on prétendait ne pas faire de la reconnaissance de l’indépendance du Kosovo un préalable en vue de l’obtention d’un accord.
Pour autant, alors que Belgrade après avoir élaboré une plate-forme qui précisait ses intentions et avancé l’idée d’une Association des communes serbes du Kosovo pouvant s’auto-administrer, il apparaîtin fine que toute décision susceptible d’être prise par cette nouvelle collectivité territoriale justifierait l’acquiescement de Pristina.
En dépit de ces contorsions sémantiques, cette démarche ne révèle-t-elle pas un manque de cohérence, car au fond tout esprit logique aurait bien du mal à distinguer la reconnaissance de l’indépendance du Kosovo, de l’acceptation du gouvernement de Pristina, comme instance de validation politique des choix effectués par la dite Association des communes serbes. Même un esprit simple peut comprendre que cela revient bien dans les faits à reconnaître la souveraineté du Kosovo comme territoire et à consacrer la prééminence de l’exécutif kosovare sur les décisions prises au titre de l’intercommunalité par les minorités serbes.
Comment ne pas éprouver une certaine perplexité quant à la gestion politique de ce processus ?
N’est-ce pas là une occasion manquée qui eût pu en effet faire advenir une autonomie relative à moindre frais, à la condition de laisser cette structure intercommunale exercer pour le compte de ses administrés un large éventail de compétences et de ne pas exiger de la partie serbe des concessions psychologiquement et politiquement impossibles à obtenir ?
Une autonomie rationalisée et pacifiée n’eut-elle point été préférable à un échec susceptible de conduire à une radicalisation des deux parties, tenant compte du vide politique et organisationnel résultant de cet échec ?
Depuis le début de ce fastidieux débat, sur ce blog nous avions indiqué qu’un conflit d’interprétation continuait à obscurcir les enjeux du processus en cours.
Cette analyse se trouve hélas tristement confirmée. Que l’on considère qu’il faille œuvrer pour que la Serbie fasse un certain travail de deuil à l’égard de cette configuration nouvelle, ne signifie pas qu’il ne faille pas chercher à trouver une issue réaliste et viable pour les communes serbes du Kosovo.
Comment imaginer que la minorité serbe du Nord puisse accepter d’une quelconque manière les institutions de Pristina ?
Comment à la fois reconnaître son lien linguistique, économique et financier avec la Serbie- tel qu’il était déjà évoqué par le plan Ahtisaari- et lui demander de s’engager dans la voie d’une intégration –totalement improbable- au Kosovo ?
Comment imaginer sur un plan purement psychologique que les populations serbes revendiquant une autonomie étendue aux compétences régaliennes (sécurité, justice, impôt) puissent se résoudre à accepter de se placer docilement sous l’autorité du gouvernement de Pristina ? En dehors de toutes considérations idéologiques, convenons que le fait d’imaginer un seul instant que la Serbie pourrait souscrire, selon les récentes déclarations serbes « à une telle humiliation » relève à tout le moins d’un total irréalisme.
Une situation de blocage qui peut entraîner des répercussions politiques à l’intérieur de la Serbie
On pourrait nous objecter que la conversion des élites politiques serbes au désir de l’adhésion à l’UE permettait d’espérer que Belgrade allât plus loin dans la recherche du compromis.
N’est-ce pas là une vision à courte vue ? Certes le gouvernement serbe est aujourd’hui soudé par la revendication sans cesse répétée d’obtenir une date d’ouverture des négociations en vue de l’adhésion.
Mais nous avions pointé aussi le fait que l’opinion publique exprimait un scepticisme croissant à l’égard de cette espèce de fuite en avant, compte tenu de la dégradation de la situation économique de la zone euro, des crises grecque, chypriote, italienne, espagnole de nature à doucher l’enthousiasme des secteurs de l’opinion les plus acquis à l’idée de l’intégration européenne.
La coalition peut à présent entrer dans une phase de fortes turbulences, partagée entre une aile prête à faire toujours plus de concessions en l’échange de la date mythique tant désirée et une aile plus pragmatique désireuse de rester en phase avec l’opinion publique au nom de l’unité et de la fierté nationales serbes. Gardons-nous à cet égard de surinterpréter les petites phrases prononcées à chaud par tel ou tel membre de l’exécutif serbe.
Belgrade devrait donner son avis définitif dans un délai de 5 jours, nous rapporte B92, alors que le vice-premier ministre Aleksandar Vucic indique que confrontée à ce dilemme, la Serbie a le choix entre des options aussi désastreuses l’une que l’autre.
On imagine mal l’exécutif serbe désavouer la ligne de conduite qui a été la sienne jusqu’au terme de la négociation. Son opinion publique ne le tolérerait pas et la colère des populations du Nord du Kosovo en serait inévitablement attisée. Dans le cas probable où Belgrade persisterait dans son refus d’un compromis, il se pourrait en revanche qu’elle voit sa relation avec Bruxelles se refroidir substantiellement et s’évanouir le rêve d’obtention d’une date rapide d’ouverture des négociations en vue de l’adhésion à l’UE.
Il est possible que cette situation de blocage soit le déclencheur d’une crise politique en Serbie. Gageons que celui qui surfera sur l’exaspération de l’opinion serbe taraudée par la crise économique et sociale et lassée du processus de l’adhésion à l’UE érigé comme le seul horizon souhaitable, pourrait ramasser la mise.
En clair une telle coalition arcboutée sur la perspective unique de l’intégration européenne peut-elle survivre à cet échec, même si les négociateurs serbes n’ont pas entériné le compromis proposé ?
Il reste évidemment à suivre l’évolution de la situation dans les tous prochains jours. A l’heure où nous écrivons ces lignes, aucun gage n’a été donné permettant de garantir une situation stabilisée et apaisée pour le Nord du Kosovo. Et les déclarations de bonne volonté tenues par tel ou tel se heurtent sur ce qui constitue la pierre d’achoppement politique du débat, à savoir la reconnaissance de l’indépendance du Kosovo comme telle. A l’instar de Freud, nous avons bien assisté lors de ce dialogue à un retour du refoulé, exigence pour les uns, impossibilité pour les autres.
Restent donc en suspens les questions essentielles relatives à la stratégie du gouvernement serbe, au-delà de son désir d’Union européenne. La présence étatsunienne quasi tutélaire vue de Pristina dans cette séquence autant que la discrétion de Moscou bien qu’hostile à toute idée de reconnaissance du Kosovo, ne permettent pas de dessiner précisément les contours d’une recomposition régionale qu’il faudra envisager selon des modalités radicalement nouvelles incluant des acteurs au plan économique et géopolitique extérieurs à l’UE.