Le blog d'Arta Seiti
5 Février 2013
Force est de constater que l’Albanie depuis la chute du communisme, centrée sur une politique d’intégration euro-atlantique, peine à sortir des clichés d’une vie politique rythmée par les batailles d’egos et polarisée autour d’un clivage bipartisan.
J’écrivais dans un article publié dans « Questions Internationales » de la Documentation française, janvier - février 2012 , qu’ à la différence de certains Etats de la région, l’Albanie ne connait pas de conflit territorial avec ses voisins et n’est pas en proie à des tensions ethniques, religieuses, identitaires. Ce sont principalement les freins internes de nature économique et politique qui entravent le développement du pays … la Commission européenne a refusé de lui accorder le statut du candidat en pointant l’interminable crise politique, la nécessaire refonte du système électoral, la réforme inaboutie du système judiciaire, de même que celle du droit de propriété, les efforts attendus dans le domaine de la lutte anti-corruption et ceux concernant le traitement de la communauté rom.
Les traces et les mirages - legs d’un passé totalitaire - ne suffisent pas, me semble t-il pourtant à ériger le concept du national- communisme au rang de facteur explicatif pour rendre intelligible la situation actuelle, à l’instar de l’anthropologue Armanda Kodra qui évoque le réveil du nationalisme en Albanie.
Non qu’il ne faille pas s’inquiéter – bien entendu – d’une certaine forme d’ubris exaltant l’union des albanais, ni des dérives qui peuvent en résulter !Pour autant le maniement des concepts, à commencer par celui de national- communisme doté d’une connotation assez spectaculaire, requiert une certaine rigueur. En effet, le terme national-communismecharrie beaucoup plus d’interrogations qu’il n’apporte d’éclaircissements. S’agit-il d’une séquence dans l’histoire des pays du « socialisme réel » où la voie nationale était privilégiée, à l’instar du socialisme dans un seul pays cher à Joseph Staline, ou d’un syncrétisme surgi après la désintégration du bloc soviétique prônant l’alliance du nationalisme et du communisme ?
Autant le national-populisme s’avère être un concept opératoire pour décrire un certain nombre de courants apparus sur la scène européenne, autant le national-communisme ne me semble pouvoir être invoqué pour indiquer un lien contestable entre l’époque présente et la période dictatoriale de l’Albanie.
Plusieurs questions se posent à ce stade :
Le recours au concept de nationalisme appliqué à l’Albanie contemporaine est-il pertinent et peut-il faire l’économie d’un examen des spécificités historiques du nationalisme albanais ?
Peut-on affirmer que l’obtention du statut de candidat à l’UE constituerait un vaccin fiable susceptible de neutraliser les effets délétères des déclarations récurrentes concernant l’union de tous les Albanais dans l’Union européenne ?
En d’autres termes, n’y aurait-il pas quelque naïveté à penser que le passeport de l’UE éteindrait les ardeurs nationalistes ici ou là ? Paradoxalement en effet, la construction européenne a fait la part belle à certaines formes d’ethno-régionalisme.
Nathalie Clayer dans son ouvrage Aux origines du nationalisme albanais choisit à dessein le terme del’albanisme, pour désigner une autre forme de l’albanité au sens moderne. Ce concept étayé par Clayer, englobe tous les types de constructions d’une albanité liée à l’idée d’une existence d’une nation albanaise et permet, en revanche, de prendre en compte des constructions hybrides, trop souvent oubliées, car masquées par un discours dominant.
Le national-communisme procède, me semble-t-il d’une lecture littérale, réductrice et simpliste du discours politicien de l’Albanie, à la veille des échéances électorales de juin 2013. Que ces déclarations soient susceptibles d’enflammer et envenimer la région des Balkans à l’occasion du centième anniversaire de l’indépendance de l’Albanie en 1912, personne ne peut le contester !
Mais rien ne permet d’affirmer que cette séquence exaltée puise ses racines dans le très discutable national-communisme ni à quelque forme de nationalisme hérité du communisme.
Nous pensons plutôt que c’est précisément à l’aune de ce discours sur le pan-albanisme que l’albanisme prend forme et nourrit l’ethno-régionalisation.
Si le flottement caractérisant l’agenda européen contribue à exacerber le pan-albanisme, rien ne permet de dire que la perspective de l’intégration européenne suffirait à calmer cette fièvre qui s’apparente à la montée d’ethno-régionalismes, observables en d’autres lieux du continent européen.
Pourquoi le discours officiel albanais nourrit-il de telles déclarations ? Est- ce à dire que le passé communiste le hante au risque de tomber dans un nationalisme aveugle ? Ce vide généré par l’attente de l’intégration et la volonté de la majorité albanaise de séduire des électeurs de droite perméables à cette rhétorique, relèverait-il du nationalisme?
Un tel enchaînement, risquerait-il il d’entraîner l’Albanie dans cette ornière au motif pour ses partisans de résoudre enfin la question albanaise dans les Balkans ?
La langue et la culture - comme socle commun des Albanais dans la région - entretiennent souvent un imaginaire national. De surcroît, les acteurs internationaux n’ont-ils pas souligné que les difficultés de sortie de crises avaient ethnicisé les conflits entre populations balkaniques ?
Il convient d’insister à cet égard sur le fait que l’actualité politique de la région s’avère particulièrement tendue et complexe. Les tensions entre la Serbie et le Kosovo constituent une question qui impacte la région entière du point de vue géopolitique, s’agissant des différentes communautés ethniques.
Je ne partagerai donc pas l’idée que le discours officiel albanais relèverait du national - communisme. Je n’adhérerai pas d’avantage à la démarche consistant à lire le supposé nationalisme actuel, comme une spécificité de l’héritage du passé.
Je privilégierai la thèse de l’albanisme dans la forme la plus fusionnelle mais aussi rudimentaire, caractérisant cette nouvelle donne dans la région où l’ethno-régionalisme nourrit le pan-albanisme.
Etablir une telle nuance ne revient évidemment pas à sous-estimer les dangers qui peuvent résulter de cette fièvre d’albanisme pour l’ensemble de la région.
Mais il convient de situer la réflexion dans une perspective historique qui confère au nationalisme albanais certaines spécificités. Il fût tardif, multiconfessionnel, non immédiatement articulé à un Etat.
Pour évoquer la période communiste, il conviendrait de travailler de manière plus approfondie, sur les usages faits durant cette période du récit national, et sans doute confronter ses recherches, sur le mode d’une histoire comparée avec d’autres travaux relatifs à des pays se réclamant du communisme (Chine, ex-URSS, Roumanie etc.).