Le blog d'Arta Seiti
30 Septembre 2010
Le plan Ahtisaari pour le Kosovo, ou la sinueuse conquête d'un statut…
L'Europe doit proposer un modèle politique équilibré pour la région
Arta Seiti*
L'article est publié dans les Points de vue des chercheurs du CEREM (Centre d'Etudes et de Recherches de l'Ecole Militaire), devenu IRSEM
Un statut délicat à définir
En soi, le rapport du plan Ahtisaari pour le statut du Kosovo, présenté le 26 janvier 2007 à une réunion du Groupe de contact puis à Belgrade et à Pristina, est favorable aux Kosovars albanais, car il ébauche implicitement une description de l’indépendance. Or, pour le gouvernement de Belgrade l’indépendance est inacceptable.
Au-delà du terme «indépendance», qui n’apparaît pas tel quel dans le contenu de ce rapport, les dispositions du plan conçoivent à moyen voire long terme le statut du Kosovo dans une perspective de souveraineté.
Plus précisément, le texte du plan parle de l’adoption d’une Constitution propre au Kosovo, la mise en place des symboles nationaux kosovars, incluant un emblème et un hymne reflétant son caractère multiethnique, ainsi que du droit pour le Kosovo de siéger dans les instances internationales. Ces mesures sont autant d’ingrédients nécessaires à l’établissement d’un modèle étatique souverain.
Si «l’indépendance sans nom», expression récemment adoptée par l’équipe des négociateurs kosovars concernant la définition du statut, selon le plan Ahtisaari, semble satisfaire à court terme les représentants du gouvernement du Kosovo, les points d’achoppement ne manquent pas.
Ainsi, «l’autonomie élargie» pour les Serbes du Kosovo, soulignée dans l’article III du plan, portant sur la décentralisation, sous-entend de facto, «une autonomie territoriale» serbe; une partition du Kosovo annoncerait, en effet, le déclin de la multiethnicité.
Les axes principaux qui restent encore en suspens, seraient, selon Veton Surroi, membre de l’équipe des négociateurs et leader du parti réformiste ORA, la décentralisation, le fonctionnement de la partie du nord du Kosovo, Mitrovica et le devenir de la présence internationale.
Toutefois, après les dernières élections législatives serbes du 21 janvier 2007, le Parlement serbe et la nouvelle équipe des négociateurs, s’opposent inlassablement aux dispositions du plan Ahtisaari. Les dernières consultations de Vienne du mois de février, entre les deux parties Serbes et Kosovars albanais, ont confirmé un certain enlisement depuis les premières négociations ; alors que le gouvernement serbe insiste sur la reprise des négociations malgré les échecs successifs, on estime du côté de la communauté internationale que la poursuite des négociations est inutile. Dans une interview pour l’agence Reuters, l’émissaire de l’ONU pour le Kosovo, Ahtisaari, souligne «qu’il est impossible d’ignorer l’histoire, s’il faut trouver une solution stable». Et de déclarer que «c’est une perte de temps de vouloir demander de poursuivre les négociations, alors que l’on connaît par avance la position des deux parties».
Au-delà de la volonté onusienne de concertation entre les deux camps, le plan de l’émissaire spécial de l’ONU se développe sous la contrainte d’alternatives et de délimitations qui fluctuent selon les interventions des membres du Groupe de Contact : la Russie, qui dispose d’un droit de veto au Conseil de Sécurité de l’ONU constitue souvent un obstacle au règlement; d’autre part, l’adoption du plan Ahtisaari pour le Kosovo est considérée comme «hâtive» pour le chef de la diplomatie russe, étant donné le désaccord des Serbes et des Kosovars albanais au sujet de l’indépendance. Lorsque la Russie met en avant le cas du Kosovo comme susceptible de créer un « précédent » pour le Caucase, sa visée peut ne sembler ni anti-kosovare, ni pro-serbe. Or il n’en est rien, la manipulation de la question du Kosovo faisant partie de la stratégie russe de soutien à la Serbie dans le cadre de la défense des intérêts nationaux de cette dernière face à la présence occidentale accrue depuis la fin de la Guerre Froide.
Cette réalité complexe produit, in fine, une situation bloquée sur le territoire du Kosovo : nous sommes toujours en face de logiques de pensée radicalement distinctes, l’un prônant l’indépendance comme un procédé légitime pour les Albanais du Kosovo et l’autre revendiquant la province, comme partie intégrante de la Serbie (la nouvelle Constitution serbe adoptée par référendum stipule la même configuration pour le Kosovo).
Détermination devant le conseil de sécurité
Il est clair que le plan de cinquante-huit pages, présenté par le médiateur onusien pour le Kosovo a sonné le glas du processus de définition du futur statut. Développée le 26 mars devant le Conseil de Sécurité de l’ONU, l’introduction (il s’agirait d’une proposition « à deux mouvements ») de Martti Ahtisaari sur l’indépendancecomme « seule option pour assurer la stabilité politique et la viabilité économique du Kosovo », n’est autre qu’une réflexion venant d’une longue observation des réalités de la province, que Belgrade ne semble pas avoir la volonté politique de reconnaître.
Alors que la presse kosovare souligne que "la Russie essaye de temporiser afin de renverser les condtitions de l'accord du médiateur", elle rapporte que désormais "incombe à l'Union européenne d'articuler une position solide et commune en faveur du plan Ahtisaari.
L’Europe doit proposer un modèle politique équilibré pour la région
Serbes et Albanais se retrouvent ainsi dos à dos dans une stratégie de rupture, que les Européens ont des difficultés à gérer pour le moment. Dans le jeu des puissances, les Albanais sortent gagnants ; la suprématie des Etats-Unis confère un poids notable, grâce au soutien apporté au statut de l’indépendance du Kosovo et à l‘intervention des forces de l’OTAN pendant la Guerre de 1999.
L’issue de la crise devrait probablement passer par la remise en question de la résolution 1244 pour le Kosovo.
Il semble, pour ce qui est de la définition du statut, que l’option la plus acceptable, soit une solution étudiée par l’Europe, apte à intégrer la Serbie et le Kosovo dans un projet politique européen global. Seule une telle implication européenne apparaît capable d’estomper progressivement les rivalités géopolitiques et de mettre en commun les atouts de la région.
Par son héritage culturel et sa puissance économique, l’Union Européenne doit donc proposer un modèle politique équilibré pour la région. Sur le plan tactique, il est nécessaire de rechercher une ambition commune, laquelle renoncera au modèle des identités ethniques fermées des sociétés. Une intégration, ayant pour acteur convenable l’Europe, pourra tempérer le regard sur les frontières géographiques et celles des esprits.
*Chercheur associé au Centre de Géostratégie de l’Ecole Normale Supérieure – Ulm- Chercheur associé au CEREM - Ecole Militaire