Le blog d'Arta Seiti
27 Janvier 2017
Une situation de blocage
Le déni du réel compte hélas beaucoup d’adeptes en ces temps incertains que nous vivons. D’aucuns à la lecture de cette note seront tentés d’y voir le dénouement d’une séquence laborieuse caractérisée par l’enlisement générateur d’un sentiment de lassitude où semblent s’enfoncer les négociations entre Belgrade et Pristina. Le contexte général peut être résumé ainsi : l’Union européenne s’est positionnée comme le médiateur incontournable de ce face à face, la Serbie faisant de son opiniâtre détermination à intégrer l’UE, le sésame du programme de la coalition gouvernementale.
Dans cette configuration visant à créer les conditions politiques d’un « compromis », Belgrade réaffirme ses projets s’agissant du statut du nord du Kosovo autant sur la forme que sur le contenu.
Il convient de pointer le fait que l’opinion publique exprime un scepticisme croissant à l’égard de l’Union européenne, compte tenu de la dégradation de la situation économique de la zone euro, des crises grecques, de la grave crise migratoire alors que les dernières déclarations des élites politiques affichent la Russie comme un allié incontournable.
Ne conviendrait-il pas davantage de questionner la ligne ostentatoire de la coalition consacrée par le fétichisme des négociations et son « européisme » qui relève d’une sorte de fuite en avant et ne répond ni aux enjeux de la stabilité économique et sociale de la Serbie ni à celle de la région ?
Quelle interprétation du Plan Ahtissari pour le Kosovo ?
Force est de constater que la Constitution du Kosovo est une traduction fidèle du plan Ahtissari (2007) adoptée à la majorité absolue des citoyens du Kosovo quand il a été annoncé sous la forme de la déclaration de l’indépendance (2008). Ce plan constitue parmi d’autres, un appel à la décentralisation voire à l’autonomie municipale. Il s’inscrit en cohérence avec le principe de subsidiarité consistant à renvoyer au niveau local l’ensemble des compétences qui peuvent y être exercées plus efficacement qu’à un autre échelon de décision.
Mais que dit à cet égard le plan à propos de la décentralisation ?
Décentralisation :
Les vastes mesures de décentralisation prévues tendent à favoriser la bonne gouvernance, la transparence, l’efficacité et l’efficience des services publics. La proposition accorde une attention particulière aux besoins et aux préoccupations de la communauté serbe du Kosovo, qui pourra exercer un degré élevé de contrôle sur ses propres affaires. Parmi les principaux éléments de cette décentralisation, on retiendra : l’élargissement des compétences municipales des municipalités à majorité serbe du Kosovo (dans les soins de santé secondaires et l’enseignement supérieur, par exemple); le renforcement de l’autonomie des municipalités en matière financière, qui pourront notamment recevoir, en toute transparence, des financements provenant de Serbie; plusieurs dispositions relatives à la création d’associations de municipalités et à la coopération à travers la frontière avec les institutions de Serbie; et la création de six municipalités à majorité serbe du Kosovo qui sont soit entièrement nouvelles, soit considérablement élargies.
En fait, ce texte extrait du plan précité, trouve sa justification dans un contexte plus que jamais d’actualité au regard du dialogue Belgrade – Pristina.
Dans cette situation que constatons-nous ?
Il existe un exécutif au plan national qui est du ressort gouvernemental, les exécutifs locaux dont la compétence peut être étendue selon le degré de décentralisation pouvant aller jusqu’à certaines formes d’intercommunalité à l’instar de la France, un pays certes centralisé mais qui s’inscrit dans un processus de décentralisation déployé sur une longue durée. Ainsi, au-delà des communes, se constituent des regroupements de communes qui se dotent de la personne morale, d’un exécutif et d’une fiscalité propres.
Le terme d’«association des communes » - pourrait constituer pour Belgrade une formule élégante permettant d’établir un niveau de décision spécifique dotée de compétences élargies de sorte que soient créées les conditions de l'autonomie territoriale et politique de la partie serbe du Kosovo, à l’instar de la presse kosovare et des élites kosovares.
Regardons l’ensemble des accords signés qu’il s’agisse de la mise en place du système de l’enseignement, sur les documents d’état civil, les cadastres, les plaques d’immatriculations, les douanes et sur les télécommunications, la représentation régionale du Kosovo, ajoutons-y la décision de la Cour Internationale de la Justice (CIJ) ainsi que le fond pour le Nord, que constatons-nous ?
L’ensemble de ces dispositions demeurent marquées par d’authentiques conflits d’interprétation, ce qui confère aux négociations actuelles une certaine dose de duplicité.
Certes, si les dispositions générales proposées par le plan Ahtisaari appellent à un compromis, fondé sur la raison, l’acceptation par le Kosovo d’une dose élevée de décentralisation pour le Nord, suscite bien des crispations à Pristina.
Il conviendrait à ce stade de distinguer les enjeux. D’abord se pose la question de trouver une solution politique et administrative viable pour le Nord. L’actualisation des dispositions relatives à la décentralisation telles qu’elles figurent dans le plan Ahtissari ouvre à cet égard un champ de possibilités. Rappelons que la Serbie en outre avait abordé cette étape du dialogue en prenant soin d’arriver avec une plate-forme. Un compromis pourrait être trouvé sur les enjeux de la décentralisation, pour peu que les autorités kosovares acceptent cette option avec pragmatisme. Dans le cas de figure où l’Union européenne ne parviendrait à vaincre les réticences de Pristina, c’en serait fini du dialogue. Un tel échec sera susceptible de relancer le débat sur des formes d’autonomie territoriale plus radicales.
Dans le cas contraire, il s’agirait donc de redéfinir cet accord dans les meilleures conditions.
Dans une nouvelle période de transition à tous points de vue, de recomposition d’alliances géopolitiques et d’influence de zones d’intérêt, les états devraient rechercher des pôles de stabilité régionale et des connections de structures souples.
Il reste évidemment à suivre l’évolution de la situation dans les Balkans. A l’heure où nous écrivons ces lignes, aucun gage n’a été donné permettant de garantir une situation stabilisée et apaisée pour le Nord du Kosovo. Et les déclarations de bonne volonté tenues par tel ou tel se heurtent sur ce qui constitue la pierre d’achoppement politique du débat, à savoir la reconnaissance de l’indépendance du Kosovo comme telle. A l’instar de Freud, nous assistons, lors de ce dialogue à un retour du refoulé, exigence pour les uns, impossibilité pour les autres.