Le blog d'Arta Seiti

De la Serbie, du dénouement des élections anticipées et de son ambivalence confirmée

(source : Blic)
(source : Blic)

A l’heure où nous écrivons ces lignes, il faudrait prendre de la distance afin de situer l’enjeu des élections anticipées parlementaires serbes, municipales et l’élection des députés du Parlement de Voïvodine.

Convenons que ce recul s’avère indispensable au-delà des incantations hâtives quant à une "victoire écrasante" du Premier ministre Aleksandar Vučić . Mais tout d’abord, gardons à l’esprit la genèse de la convocation de ces élections demandées par le Premier ministre serbe, en janvier 2016, au nom de " l'avenir de la Serbie". La Serbie connaît un taux de chômage élevé, environ 20%, et les indicateurs économiques sont marqués par la politique d'austérité inspirant sa gouvernance. Le vieillissement de la population - ce marqueur démographique - conjugué à une conjoncture économique sombre, constituent des éléments importants à prendre en compte et laissent à penser que ce scrutin provoqué in extremis, deux ans après les élections de 2014, ne changeraient pas pour autant la donne sociale et économique serbe. Outre les privatisations en cours, le gouvernement serbe se drape d’une part, dans le drapeau de l’UE afin d’ouvrir “les chapitres” des négociations, en bon disciple dévoué de l'UE et du FMI, tout en concluant des contrats militaires avec la Russie et en fortifiant son partenariat avec la Chine (infrastructure et vente d'aciérie).

Habile mais incertaine, la gouvernance serbe joue la carte de la neutralité militaire tout en donnant des signes d’ouverture à l’OTAN ( accord signée en février 2016 selon lequel la Serbie se voit désormais contrainte d’accorder un droit de libre circulation aux troupes de l’OTAN sur son territoire et de leur garantir l’immunité). Pour autant, l'on observe une politique étrangère qui tend vers une clarification ou une forme d’équilibrage quand Ivica Dacic déclare devant le Ministre russe des affaires étrangères, Sergeï Lavrov, que la "Russie constitue le plus important partenaire stratégique de la Serbie".

Mais retournons à la période avant les élections de 2016. Le Premier ministre serbe, se disait inquiet face à une crédibilité écornée aux yeux de l’opinion serbe quant aux « réformes programmées», se disant prêt à se sacrifier “ en donnant sa démission”, s’il le fallait. Conscient de son emprise, ses « éléments de langage » ne manquaient pas d‘habileté rhétorique d’autant qu’il pouvait se prévaloir de son image de décideur « anti-corruption » comme en témoigne le résultat issu des dernières élections législatives du 16 mars 2014 où son parti (SNS) a recueilli 48,34 %.

Pourquoi alors convoquer des élections anticipées quand il en connaissait par avance le dénouement victorieux ? Est- ce à dire qu’il souhaiterait renforcer sa légitimité et sa mainmise sur le pouvoir, comme le soulignent les analystes ? Est-ce à dire que son dessein irait au-delà de l’ivresse procurée par cette réussite ponctuelle afin de justifier une politique extérieure flexible, pour mieux déployer sa posture d’équilibrisme au regard de la Russie, de la Chine, des Pays du Golfe et tout récemment de l’Iran… la dispersion des voix au sein du Parlement en témoigne.

“ La voie européenne” et “ les standards européens” qu’il prône, répondent-ils vraiment aux attentes des citoyens serbes confrontés à des difficultés quotidiennes croissantes ? Il a certes recueilli, environ 60.000 voix de plus que les élections précédentes, mais il a perdu 27 sièges au Parlement. Force est de constater que si les citoyens ne voient pas rapidement les “500 euros de salaire moyen qu'il leur avait promis, Vučić subira le sort des autres dirigeants”.

Moins de députés dans les listes et les ambivalences se confirment

Selon les derniers résultats de la Commission électorale serbe ( RIK), toutes les listes auront maintenant moins de députés.Le Parti progressiste serbe (SNS) devrait maintenant avoir 131 députés - 27 de moins qu'en 2014 - alors que la coalition Parti socialiste de Serbie et Serbie unie (SPS-JS) aura 30 députés - 14 de moins que dans la composition précédente du Parlement. Après quatre ans, les radicaux (SRS) retournent avec avec 21 députés au Parlement. Ils sont suivis par le DS (16 députés - 3 de moins qu'en 2014), les nouveaux arrivants, le Mouvement Dosta je bilo (DJB) (16 députés), le LDP-LSV-SDS (13 députés - 5 de moins que le SDS avait en 2014) et le DSS- Dveri (13 députés). Il convient de souligner que dans la configuration du nouveau Parlement dont feront partie trois partis, le SRS et le DSS-Dveri affichent une opposition claire contre l'OTAN et l'UE, mais aussi le mouvement DJB - dirigé par l' ancien ministre de l'Economie S. Radulovic -, extrêmement critique à l’endroit des réformes économiques du Premier ministre Vučić. A cet égard, le débat s’annonce rude, ces partis constituant une forte opposition au sein du Parlement serbe.

Le regard russe et américain sur les dernières élections serbes

La diplomatie russe à travers la voix du Président de la Commission des affaires étrangères de la Douma, Alexeï Pouchkov fait preuve d’une prudence sémantique quand il s’exprime sur “la continuité et la poursuite du cours actuel de l’intégration européenne” des Serbes qui ont voté lors des dernières élections. Le résultat était "attendu", souligne-t-il - un clin d’oeil à l’appel précipité du Premier ministre serbe à convoquer ces élections. Néanmoins, Alexeï Pouchkov, déclare que “les relations serbo-russes vont se développer dans le cadre des accords qui ont été conclus au cours des contacts et des rencontres entre les dirigeants des deux pays, particulièrement, les dernières visites du Premier ministre serbe, Aleksandar Vučić et le président Tomislav Nikolic à Moscou", sans être insensible à l’impact sur la stratégie et la politique étrangères de SRS et de DSS-Dveri.

A preuve, un extrait de la lettre de Dmitri Medvedev envoyée au Premier ministre serbe, publiée par B92."The citizens of Serbia expressed their support for your course, in which the strengthening of the strategic partnership with the Russian Federation occupies a special place. I would like to confirm the readiness for further improvement of the entire complex of Russian-Serbian cooperation and efficient implementation of large-scale joint projects in various fields," reads the letter, and adds: "I remember with warmth my personal meetings with you. I will be glad to continue our interesting and useful friendship. I wish you good health, prosperity and new successes in carrying out your responsible duty."

Le Premier Ministre serbe reçoit également les félicitations du Département d' Etat américain à travers la voix de son porte parole, John Kirby. "Congratulations to the Serbian people on the elections held yesterday. According to the first reports from the OSCE and the Council of Europe international observation mission, the procedures on election day were, in general, conducted in compliance with the law," said U.S. Department of State Spokesperson John Kirby. "We are looking forward to working together with the Serbian government to further strengthen and improve relations between the U.S. and Serbia".

Les déclarations se multiplient et deviennent plus explicites lorsque le président de la Commission électorale russe, s'exprime en ces termes pour l'agence ITAR-TASS :"We must take a special approach to Serbia, bearing in mind what is happening in neighboring Montenegro, and the goal of America to separate Serbia from Russia and draw it into the field of military, political and economic influence of the EU". According to him, "this course is taking place with much difficulty because of the historical, cultural and collective memory gene, and to some extent due to the common mentality of Russian and Serbian peoples that prevents a sudden interruption in relations between Belgrade and Moscow."

Les réactions officielles exprimées par Washington comme par Moscou témoignent de l’intérêt géostratégique majeur pour ces deux puissances quant à la place de la Serbie et son évolution au sein de l’échiquier régional et son avenir. Toutefois, la déclaration rapportée par l’agence ITAR-TASS souligne la nécessité pour les dirigeants serbes d’être vigilants face aux manoeuvres éventuelles quant à l'initiative de l'intégration à l'OTAN du Monténégro. On pourrait y voir un avertissement amical mais marqué par une certaine franchise pour inciter la Serbie à faire montre de prudence et de cohérence.

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L’avenir de la Serbie et de la région des Balkans est loin d’être écrit

Au-delà de ces considérations conjoncturelles, demeurent en suspens des questions plus structurelles qui concernent l’avenir de la Serbie et plus globalement de la région balkanique. Méfions-nous du flot d’éléments factuels qui peuvent contribuer à instaurer un brouillage dommageable pour la compréhension des enjeux géopolitiques des Balkans. Au titre des certitudes, remarquons que les élites politiques serbes n'ont pas un projet de croissance économique digne de ce nom. Il en résulte parfois une scénarisation peu cohérente dont les errements risquent d’écorner la légitimité de ces élites. Il existe à cet égard une sorte de décalage entre une conversion à l' "européisme" et l’état réel de l’Union européenne, car en admettant que les fonds de pré-adhésion constituent une bouée d’oxygène, ceux-ci ne suffiront pas à remettre la Serbie sur le rail de la croissance ni à éradiquer le chômage de masse. Au-delà de ces péripéties, chacun sent que les questions fondamentales ne sont ni posées, ni réglées. La Serbie demeure-t-elle prise dans cette ambivalence constitutive d’une certaine périphérie européenne qui en l’espèce, est autant tournée vers l’Ouest que vers l’Est ? N’est-ce pas la clé de compréhension de cette région qui constitue un espace spécifique géopolitique ? Nul doute que ces questions stratégiques qui ressurgissent, devraient nous faire réfléchir.

Sources : B92, Courrier des Balkans, Blic, ITAR- TASS, Revue Défense Nationale (A.Seiti)

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