Le blog d'Arta Seiti

Où peut aller la Serbie dans un contexte marqué par un regain de tensions entre l’Union européenne et Moscou ?

  • Regard sur le scrutin du 16 mars

Avec un score record, le Parti Progressiste Serbe (SNS) d’Aleksandar Vucic remporte la majorité absolue lors des élections législatives et locales. En termes de pourcentage, cela signifie que le SNS obtient 48,34 % ou 1.727.444 électeurs. Les socialistes (SPS) réalisent 13,51 % ou 482 710 des électeurs inscrits alors que les démocrates (DS), atteignent 6,04 % ou 215 923 électeurs. Enfin, suit le Nouveau Parti démocratique (NDS) de l’ancien président Boris Tadic avec 5,71 %, soit 203 916 électeurs.

C’est une victoire, certes sans ambiguïté de l’homme fort Vucic avec un taux de participation de 53,12 %.

Selon les résultats de la Commission électorale, le SNS aura 158 sièges au sein d’un parlement composé de 250 sièges où il pourra s’il le souhaite gouverner seul, même si dans la presse serbe, des rumeurs sur une possibilité de coalition avec le parti de l’ancien président Tadic sont évoquées par certains analystes.

Convenons qu’il est encore tôt pour décrypter la ligne de la politique étrangère du nouveau gouvernement, bien que le contexte ait changé dans le sens d’une radicalisation qui appellera sans doute clarification. Quant aux orientations économiques, les propos d’Aleksandar Vucic, supposé devenir le Premier ministre de la Serbie, sont annonciateurs d’une réforme d’ensemble – dans la perspective d’un nouveau prêt du FMI- portant sur la privatisation, le droit du travail, les permis de construire ainsi qu’un projet de loi concernant les faillites.

  • Quel positionnement géopolitique dans la période qui vient ?

Dans la période qui s’ouvre, il conviendra de s’interroger sur les conséquences d’un éventuel changement de cycle consécutif aux événements qui viennent de se produire en Ukraine et notoirement en Crimée du point de vue des rapports entre l’Union européenne et la Russie.

Si l’on peut relativiser l’ampleur des sanctions annoncées par l’UE ciblées sur des personnalités russes, on peut s’attendre à tout le moins à un refroidissement relativement durable des relations entre les autorités européennes et Moscou. Reste à évaluer les effets différenciés générés entre les différents états de l’UE qui n’auront pas tous la même attitude en direction de Moscou pour des raisons de realpolitik qu’une lecture purement émotionnelle des faits récents pourrait avoir tendance à oublier.

Pour autant dans un tel contexte, la ligne de conduite de la Serbie à l’international pourrait s’avérer sur un plan politique plus complexe que dans la séquence pré-ukrainienne. L’Union européenne pourrait être tentée d’exercer une pression plus exigeante pour contraindre Belgrade à donner des gages de « bonne conduite » en tant qu’Etat désireux d’intégrer la communauté des Etats membres. D’un autre point de vue, Moscou en sa qualité d’allié historique de la Serbie de bailleur de fonds et d’investisseur stratégique sur le dossier énergétique, pourrait inviter Belgrade à donner des preuves de loyauté impliquant par exemple une reconnaissance explicite de l’indépendance de la Crimée.

Moscou pourrait considérer qu’il s’agirait là d’un juste retour des choses eu égard à la constance de la diplomatie russe en ce qui concerne la non reconnaissance de l’indépendance du Kosovo.

Sur un plan géostratégique, à l’évidence Moscou attendra de la part de Belgrade une attitude claire et principielle à l’égard du jeu occidental dans la région des Balkans. Cette double sollicitation, même si elle peut être gérée à l’équilibre peut être néanmoins une source de difficulté pour une gouvernance placée sous le signe d’une forte dépendance économique notamment à l’égard du FMI et dans une certaine mesure à l’égard de Moscou. Enfin, le dossier énergétique, seule perspective de développement économique pour la Serbie dans une conjoncture profondément dégradée, peut être lui-même conditionné par un regain de tensions entre Bruxelles et Moscou s’agissant de Gazprom accusé de contrevenir aux règles de libre concurrence. Néanmoins, sur ce dernier point, la présence d’acteurs économiques français, allemands ou italiens dans le capital du géant gazier et la prudence prévisible de la chancelière allemande non désireuse de voir ses besoins énergétiques contrariés par un remake de guerre froide sont de nature à relativiser le risque d’un blocage de Southstream. Cependant, il convient de prendre en compte l’ensemble de ces paramètres pour délimiter la marge de manœuvre des nouvelles autorités serbes. Certes la situation géographique de la Serbie interdit la comparaison avec l’Ukraine, néanmoins le grand écart né d’une orientation ambivalente tentant de concilier le projet d’adhésion à l’Union européenne et le maintien d’un partenariat stratégique avec Moscou peut devenir par temps de crise un facteur puissant de déstabilisation.

Reste à savoir comment le nouvel homme fort de Belgrade conciliera - tenant compte des pressions objectives qui pèsent en raison de la situation économique de la Serbie - un agenda rythmé par les privatisations et les politiques d’assainissement budgétaire que ne manqueront pas de lui imposer le FMI et l’UE et le maintien d’un axe géostratégique en direction de Moscou. Il se pourrait même si ce scénario apparaît aujourd’hui improbable que Vucic soit amené à opérer un tournant, d’une part pour desserrer l’étau de l’austérité sur un corps social qui ne pourra supporter durablement les conséquences d’une thérapie de choc et d’autre part pour surmonter le risque d’un écartèlement entre deux projets qui pourraient s’avérer d’un point de vue géopolitique difficilement conciliables.

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